FREE PALESTINE
8 décembre 2006

Le message des bulldozers

Jeff Halper

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The Alternative Information Center, 20 novembre 2006

http://alternativenews.org/index.php?option=com_content&task=view&id=622&Itemid=88


La politique israélienne de démolition des maisons palestiniennes fait partie intégrante d’une politique plus globale de déplacements qui a poussé 80 % des Palestiniens hors de ce qui est devenu Israël. Presque la moitié de tout les Palestiniens (dans les Territoires occupés) est confinée dans des bantoustans tronqués. Des millions de réfugiés se morfondent toujours dans des camps et les « Arabes israéliens » - les citoyens palestiniens d’Israël - estiment leur propre statut de plus en plus en menacé.

« Dans notre pays, il y a de la place seulement pour les Juifs. Nous allons dire aux Arabes : Dehors ! Et s’ils ne sont pas d’accord, s’ils résistent, nous les sortirons de force. » (Professeur BenZion Dinur, Premier ministre de l’Education d’Israël, Histoire de la Haganah - 1954).

Les démolitions de maisons sont au centre de la démarche d’Israël pour « le problème arabe » depuis qu’existe l’idée d’un Etat. Entre 1948 et 1954, Israël a méthodiquement démoli 418 villages palestiniens - 85% des villages. Les démolitions ont été au cœur d’un large processus de déplacements (euphémiquement appelé « transfert » par les Israéliens). La politique de démolitions des maisons vise soit à confiner les Palestiniens dans de tous petits îlots, soit à accroître la « sécurité » israélienne. Elle sert aussi de sanction collective ou de « dissuasion » (on démolit les maisons des gens accusés d’atteinte à la sécurité) ou à des fins d’intimidation. Partout dans Israël, dans les villages palestiniens et bédouins non reconnus, dans les quartiers palestiniens de Ramle, Lod et d’autres villes arabes d’Israël, on continue à démolir les maisons.

Après 1967, le processus - et le message - de déplacement s’est porté de l’autre côté de la Ligne verte, dans les territoires occupés de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza. Les bulldozers israéliens y ont démoli plus de 11 000 maisons palestiniennes depuis 1967.

Au moins 2 000 à la suite de la guerre de 1967 - dont des villages entiers dans la région de Latrun (aujourd’hui ‘Parc Canada’) et le quartier Mughrabi en face du mur ouest. En 1971, Ariel Sharon a ordonné que soient rasées 2 000 maisons dans les camps de réfugiés. Au moins 2 000 maisons ont été détruites au cours de la répression de la Première Intifada, de la fin des années 1980 au début des années 1990. En avril 2002, les énormes bulldozers Caterpillar D-9 ont œuvré pendant trois jours à la démolition de plus de 300 maisons au cœur du camp de réfugiés, extrêmement peuplé, de Jénine.

Les données sur les démolitions de maisons en Cisjordanie posent problème au sens où il n’y a pas d’agences internationales qui travaillent méthodiquement la question alors que l’accès pour les organisations israéliennes est devenu plus difficile, et parce que les informations publiées par les forces de défenses israéliennes (IDF) manquent de crédibilité.

Par l’expropriation de la terre, le blocage de toute élaboration de plan d’urbanisme pour les quartiers palestiniens et par la limitation des permis de construire, la municipalité de Jérusalem a provoqué de gros besoins non satisfaits en matière de logements. Beaucoup de résidents palestiniens de Jérusalem-Est ont été obligés de construire sans permis, pour retrouver leurs maisons détruites par décision du ministère de l’Intérieur et la municipalité. Forcés de s’installer en dehors de la ville, ils perdent alors leur résidence à Jérusalem et sont bannis de leur ville pour toujours.

Nour Eldin Domiry a passé 28 ans à travailler pour l’administration civile israélienne comme officier de police à Jérusalem. Il une grande plaque et toute une série de citations pour ses loyaux services. En avril 2003, deux mois après sa retraite, sa maison - qu’il avait payée de l’épargne de toute une vie et par un emprunt - a été démolie. Il n’avait pu obtenir un permis pour cette maison qu’il voulait construire car il n’avait pas les 20 000 dollars exigés pour honoraires. L’équipe venue pour la démolition était dirigée par son ancien patron. Au milieu des décombres de sa maison, il a reconstruit une habitation délabrée avec deux pièces mansardées ; comme ça, lui et sa famille avaient un endroit pour rester à Jérusalem. Il doit toujours le solde de l’emprunt ainsi qu’une amende de 50 dollars pour chaque mètre carré de son ancienne maison qui représentent les frais forfaitaires de démolition demandés par la municipalité. Il a reçu pour sa nouvelle habitation un autre ordre de démolition. Il est incapable de se payer un avocat, son nouveau travail - garde de sécurité - est trop mal payé. Toute sa carrière professionnelle, il l’a passée dans une organisation à dominante juive, le Département de la police de Jérusalem. Si c’est comme ça qu’Israël traite ceux qui collaborent, comment est-il avec les gens qui résistent ?

Plusieurs milliers de Palestiniens dans les Territoires occupés sont confrontés à la démolition des habitations « illégales » construites dans les premières années du processus d’Oslo, au milieu des années 1990. Encouragés par les perspectives de paix, beaucoup étaient retournés dans leur ville ou village natal et avait investi dans de nouvelles maisons. A l’époque, ils avaient pensé que la politique de démolitions des maisons cesserait. En effet, l’administration civile leur avait laissé croire qu’étant donné que la plus grande partie de la terre passerait sous contrôle palestinien, ils n’auraient plus de problèmes de démolitions - même si le processus ne l’avait pas officiellement précisé.

Aujourd’hui, il y a plus de 2 000 demandes de démolition en attente. Le jour de la décision tombe sans prévenir. Quand les démolitions ont lieu, elles sont faites apparemment au hasard. Les équipes de démolition, accompagnées de soldats, de la police et de responsables de l’administration civile, arrivent d’habitude au début de la matinée, juste après le départ des hommes pour le travail. La famille est parfois, mais pas toujours, prévenue une heure avant pour enlever tout ce qui lui appartient avant le passage du bulldozer. Comme les membres de la famille et les voisins, habituellement, opposent une certaine résistance, ou au moins une protestation, ils sont alors sortis de force de leur maison. Leurs biens sont jetés à l’extérieur par l’équipe de démolition (souvent des travailleurs immigrés). En plus de la démolition de leur maison, celle de leurs biens personnels représente un coup dur financier - sans parler de l’émotion de ces gens à voir leurs biens les plus personnels brisés et jetés à l’extérieur, sous la pluie ou en plein soleil et dans la saleté. Alors le bulldozer commence son travail de démolition, cela lui prend entre une et six heures selon la grandeur de la maison. Quelquefois, la démolition s’opère au milieu d’une grande violence : les gens sont frappés, emprisonnés, parfois tués, toujours humiliés.

Le travail est supervisé par un responsable de l’une des autorités gouvernementales (administration civile pour les Territoires occupés, municipalité de Jérusalem ou ministère de l’Intérieur à Jérusalem). Les responsables de l’administration civile - la plupart sont des colons - sont connus pour être particulièrement brutaux. Ils jouent un rôle important dans la guerre psychologique d’intimidation bien intégrée dans la préparation et l’application de l’opération. Avec leurs jeeps Toyota blanches, escortées d’habitude par des véhicules militaires, ils remplissent d’effroi quand ils descendent dans les villages à la recherche des « violations » du code de la construction. Ils foncent souvent sur une maison, freinent à mort, sautent en hurlant, agitent leurs fusils tout en pénétrant impunément dans les salons des familles, prenant les photos, grimpant sur le toit ou fouillant la maison ou la cour. Ils humilient les adultes, terrifient les enfants.

Alors que tout pays et toute ville possèdent des normes pour l’urbanisme, des procédures de découpage et d’application, Israël est le seul pays occidental et Jérusalem la seule ville qui refusent systématiquement des permis et démolissent les maisons d’un groupe national particulier. Ces actes, qui nous rappellent l’Afrique du Sud de l’apartheid et les Serbes au Kosovo, violent de façon manifeste les conventions internationales des droits de l’homme :

Selon les Règlements de La Haye de 1907 et la Quatrième Convention de Genève, Israël doit, en tant que force d’occupation, protéger et assurer les besoins de la population palestinienne.

La Déclaration universelle des Droits de l’homme déclare que "Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement..." (article 25.1)

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels " reconnaît le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants... " (article 11.1)

La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale oblige les Etats parties à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants : ... le droit au logement. (article 5).
La Stratégie mondiale du logement jusqu’à l’an 2000, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies (Résolution 43/181 du 20 décembre 1988) déclare que le droit à un logement suffisant est universellement reconnu par la communauté des nations.
Les gouvernements (doivent) assument l’obligation fondamentale de protéger et d’améliorer les maisons et les quartiers, plutôt que de les endommager et les détruire.

La crainte de voir les personnes déplacées - qui pourraient encore se multiplier - réclamer leurs biens empêche les Israéliens de profiter des avantages de leur puissance. Le pays est saisi de xénophobie et d’un fanatisme nationaliste religieux. La polarisation caractérise les relations entre la droite et la gauche, les citoyens juifs et les citoyens arabes, les Juifs d’origine européenne et ceux du Moyen-Orient, la classe ouvrière et les couches moyennes, les religieux et les laïcs. Les Israéliens sont de plus en plus isolés dans le monde. Les jeunes israéliens, hommes et femmes, sont eux-mêmes perturbés quand ils sont envoyés comme soldats pour expulser les familles palestiniennes de leurs maisons. Même la beauté de la terre est détruite quand les autorités se précipitent à construire des bâtiments hideux, des banlieues tentaculaires et des autoroutes afin de « s’allouer » la terre avant que les Palestiniens ne reviennent. Harmonie, droits humains, préoccupations écologiques, éducation et justice sociale ne peuvent coexister avec les déplacements et l’occupation. « La forteresse d’Israël », comme nous l’appelons, est par nécessité basée sur une culture de la force, de la violence et de la grossièreté.

Le bulldozer mérite de prendre sa place de plein droit aux côtés du char comme symbole des rapports d’Israël avec les Palestiniens - le char comme symbole d’un « combat pour l’existence » d’Israël et pour ses prouesses sur le champ de bataille, et le bulldozer pour la face cachée et noire du projet continu d’Israël de déplacer complètement les Palestiniens hors de leur pays.

Jeff Halper est coordinateur du Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD) et professeur d’antropologie à l’université Ben Gourion, à Beer Sheva - Israël.

(Traduction de l'anglais : JPP)

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